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 « Egress fees », ou frais de sortie sur le marché Cloud : Un outil puissant de verrouillage  

« Egress fees », ou frais de sortie sur le marché Cloud : Un outil puissant de verrouillage

Une étude de marché de l’Autorité néerlandaise des consommateurs et des marchés (ACM) a montré qu’il était particulièrement compliqué pour les utilisateurs de passer d’un service cloud à un autre, ou alors de combiner des services cloud de différents fournisseurs, en raison de frais de sortie particulièrement élevés imposés par les leaders du marché. Ces coûts excessifs pour le consommateur représentent un obstacle important à l’émergence d’une concurrence saine et équitable, et par conséquent à l’innovation d’un marché en constante évolution.

Les services cloud permettent aux entreprises et aux organisations d’utiliser des services informatiques technologiques de haute qualité (tels que la capacité de stockage externe et la puissance de calcul) sans être obligées d’investir dans des équipements et des logiciels de pointe.  Les fournisseurs de cloud jouent donc un rôle clé dans la numérisation des métiers, où le traitement, la collecte, la sauvegarde, et l’analyse des données sont aujourd’hui prépondérants. 

Pour les utilisateurs de ces services, un certain nombre de coûts associés au traitement et à la gestion de leurs données sont à prévoir et doivent pouvoir être prédictibles. En revanche, des coûts supplémentaires sont souvent imposés par les acteurs dominants, en particulier les « egress fees », ou frais de sortie, sans véritable justification technique et économique.    

Que sont les « egress fees » ?

Les « frais de sortie » représentent les charges facturées par un fournisseur cloud à un client qui souhaite en extraire ses données, en vue de les transférer chez un autre fournisseur, de les traiter « on-premise » ou pour utiliser simultanément plusieurs fournisseurs (multicloud). Ces frais s’appliquent dès lors qu’il y a transfert de données hors du réseau du fournisseur cloud d’origine, que ce soit :    

– Vers internet (pour un transfert complet vers un autre fournisseur cloud)

– Entre zones géographiques (« régions », y compris lorsque les données restent chez le même fournisseur) ou au sein d’une même zone géographique

– Entre les fournisseurs (dans une logique multicloud)    

Quelles conséquences pour les utilisateurs ?

Ainsi, les clients sont tenus de supporter les éventuels frais de sortie facturés par leur ancien fournisseur, dont les coûts peuvent  souvent être démesurés.      

L’étude réalisée par l’ACM[1] permet de constater que les deux plus grands fournisseurs de services cloud (Microsoft Azure et Amazon Web Services) détiennent chacun une part estimée entre 35 et 40% du marché – voire davantage, en fonction des verticales considérées. Dans cet environnement économique dominé par deux géants américains, il est difficile pour les autres acteurs du marché de trouver leur place et de se développer dans des conditions de concurrence équitables.

En outre, pour les utilisateurs de services de cloud,  le manque de prédictibilité des coûts de sortie à un moment T constitue un frein supplémentaire à la libre circulation des données.  En effet, ceux-ci restent très abstraits pour le client, qui ne peut connaître au moment de la souscription du contrat le volume de données qu’il hébergera chez le fournisseur cloud choisi et la fréquence de leur transmission. Le montant des frais dont il devra s’acquitter lors d’un changement de fournisseur ou d’une application multicloud est donc largement imprévisible et dissuade toute migration des données. Pourtant, rien techniquement et commercialement ne justifie de facturer séparément le transfert des données plutôt que d’intégrer les coûts marginaux liés à ces transferts sur le seul stockage des données.      

Cette situation devient d’autant plus problématique dans la mesure où la tarification jugée excessive des frais de sortie de services cloud aggrave le déséquilibre du marché. En effet, grâce à ce système rendant dissuasive toute circulation de données, les géants américains peuvent renforcer leurs positions dominantes et verrouiller le choix de leur clientèle : c’est l’effet « lock-in ».

Au-delà de cette dimension de coûts excessifs liée à la question de transfert de données, des difficultés d’ordre technique peuvent apparaître. Elles concernent par exemple l’interopérabilité des données, la portabilité des données, voire un décalage normatif entre pays.

L’offre du secteur des services cloud en Europe est très dynamique, de nombreux acteurs européens du cloud très performants ont su s’installer durablement sur le marché numérique européen. Cependant, la concurrence saine sur ce marché est fortement fragilisée par des pratiques commerciales agressives pratiquées par tous les hyperscalers américains. Notamment, les « egress fees » constituent une pratique injustifiée et déloyale, nuisant fortement à un équilibre compétitif indispensable pour permettre aux acteurs européens respectueux de nos valeurs de poursuivre leur montée en puissance.   

Des coûts de frais de sortie injustifiés

L’infographie ci-dessous illustre les différences de prix pratiqués par quelques-uns des acteurs-clés du marché des services cloud en matière de frais de sortie[2].

Les leaders du marché sont ceux dont la facturation des frais de sortie est la plus élevée. D’autres acteurs français, comme OVHcloud ou Scaleway par exemple, ne facturent pas ce type de prestation.

Selon une étude réalisée par Cloudflare en 2021[1] , la marge réalisée par AWS sur les « egress fees » est estimée à près de 8000% pour les données sortant des serveurs situés en Europe ou aux Etats-Unis. Or, l’étude ajoute que le prix de gros des services de transit de données a baissé en moyenne de 93% ces 10 dernières années, alors que les « egress fees » demandés par AWS n’ont baissé que de 25%.

Ces « egress fees » sont d’autant moins justifiables que le coût du transport des données est marginal pour le fournisseur de cloud, et sans rapport direct avec le volume de données échangées.

En résumé, la sur-tarification des frais de sortie ne paraît rationnellement explicable qu’à l’aune d’une volonté d’enrayer artificiellement le libre choix de prestataire cloud.

[1] https://www.acm.nl/en/publications/acm-amendments-data-act-necessary-promoting-competition-among-cloud-providers

[2] https://twitter.com/holori_cloud/status/1526188485144633347

[3] https://blog.cloudflare.com/aws-egregious-egress/

Note relative aux Egress fees

Contacts:

Léonidas Kalogeropoulos, Délégué Général : +33607315126 –  l.k@openinternetproject.eu

Anaïs Strauss, Chargée de mission :+33757503010 – anais.strauss@openinternetproject.eu

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